La Guerre Oubliée : 1967 en Guadeloupe, une page sombre de l’histoire française

En cette année 2025, alors que tant de débats nationaux et internationaux agitent l’actualité, il est une page de notre histoire collective qui demeure obstinément dans l’ombre : les événements, que dis-je, la guerre de mai 1967, entre la France et la Guadeloupe, en Guadeloupe.

Souvent minimisés, parfois déformés, ces jours tragiques ne furent rien de moins qu’une confrontation violente, une « guerre » au sens propre du terme pour ceux qui l’ont vécue, et qui mérite aujourd’hui d’être enfin reconnue pour ce qu’elle fut.

L’histoire officielle, ou du moins celle qui a prévalu pendant des décennies, a trop souvent présenté ces événements comme de simples émeutes, des troubles civils rapidement maîtrisés. La réalité est bien plus complexe et, pour les Guadeloupéens, bien plus douloureuse. Ce qui a éclaté les 26 et 27 mai 1967 à Pointe-à-Pitre fut le point culminant de tensions sociales et politiques profondes, exacerbées par une situation économique précaire, des inégalités flagrantes et un sentiment d’humiliation coloniale persistant, malgré le statut de département d’outre-mer acquis en 1946.

À l’origine de l’embrasement, une grève des ouvriers du bâtiment réclamant de meilleurs salaires et conditions de travail. Une revendication légitime, transformée par les autorités en une menace à l’ordre public. La réponse de l’État français fut disproportionnée et brutale. Des forces de l’ordre venues de l’Hexagone – CRS, gendarmes mobiles – furent déployées en nombre, face à une population excédée qui exprimait un profond mal-être.

Les rues de Pointe-à-Pitre devinrent le théâtre d’affrontements d’une rare violence. Des tirs, des morts, des blessés, des arrestations arbitraires… Le bilan humain, officiellement sous-estimé à quelques morts, est, selon de nombreux témoignages et recherches indépendantes, bien plus lourd. Des dizaines, voire des centaines de victimes auraient péri sous les balles ou des suites des répressions. Mais au-delà des chiffres, c’est l’ampleur de la répression qui frappe, la volonté manifeste d’écraser toute forme de contestation sociale et politique par la force.

Pourquoi cette « guerre » reste-t-elle si peu connue en France métropolitaine ? Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. D’abord, la volonté politique de minimiser l’ampleur des événements et de préserver une image idéalisée de la décolonisation et de l’intégration des départements d’outre-mer. Ensuite, la difficulté d’accès aux archives, longtemps classifiées ou incomplètes. Enfin, un certain déni collectif, une réticence à regarder en face les aspects les plus sombres de notre passé colonial et post-colonial.

Pourtant, pour la Guadeloupe, 1967 n’est pas une simple date dans les livres d’histoire. C’est une cicatrice profonde, une mémoire vive qui se transmet de génération en génération. De nombreux Guadeloupéens ont le sentiment que la France n’a jamais vraiment fait la lumière sur ces événements, ni reconnu la souffrance infligée. Ce silence officiel pèse lourdement sur les relations entre l’Hexagone et les Antilles.

Il est temps, et il est urgent, que la France se confronte enfin à cette page de son histoire. Reconnaître ce qui s’est passé en mai 1967 en Guadeloupe comme une répression violente et meurtrière n’est pas une accusation, mais un acte de justice et de mémoire. C’est un pas essentiel pour apaiser les tensions, pour construire une relation plus saine et plus équitable avec les Outre-mer, et pour permettre à la société française dans son ensemble de mieux comprendre son passé.

La vérité sur 1967 n’est pas une menace, c’est une libération. C’est en regardant notre histoire dans toute sa complexité, ses grandeurs comme ses failles, que nous pourrons réellement avancer. La « guerre oubliée » de Guadeloupe doit enfin sortir de l’ombre pour trouver sa juste place dans le récit national.

Kamal VALCIN & Alizée BALTUS – Citoyens engagés.
Soyons UTILES pour notre pays