
Bon mettons les pieds dans le plâtre – bien sûr, ma plume risque de piquer.
L’hôpital public français est l’un des piliers de notre pacte républicain depuis la fin de la Seconde Guerre : l’égal accès aux soins pour tous. Pourtant, je, nous constatons une dérive insidieuse et dangereuse à l’œuvre, particulièrement visible dans les territoires d’Outre-mer : l’américanisation progressive de notre système de santé.
Cette « américanisation » n’est pas l’adoption du modèle libéral américain dans son ensemble, mais l’importation de ses pires travers : la primauté de la logique de rentabilité financière sur la santé publique, le désengagement progressif de l’État et la montée en puissance d’une médecine à deux vitesses où l’accès aux soins devient une question de ressources plutôt qu’un droit fondamental.
1. La métastase du « tout-comptable » : une fatalité pour l’Outre-mer
L’Outre-mer est en première ligne face à l’étranglement financier de l’hôpital public. Les CHU, CHUM et CH locaux (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion) font face à des déficits chroniques, une dette abyssale et une vétusté des infrastructures (comme l’ont montré les crises successives et les alertes sur le CHU de Guadeloupe ou les hôpitaux en Martinique).
Ce contexte difficile est le terrain de jeu idéal pour la logique comptable :
- La Tarification à l’Activité (T2A), bien que partiellement adaptée, pousse à la rentabilité immédiate et délaisse les soins chroniques, la prévention et la recherche, pourtant cruciaux pour des territoires affectés par des pathologies spécifiques (diabète, hypertension, drépanocytose, conséquences du chlordécone, maladies vectorielles).
- Les fermetures de services et le manque de personnel (la fameuse « décennie noire » des déserts médicaux) forcent les populations à se tourner vers des solutions alternatives, y compris des structures privées ou des évacuations sanitaires coûteuses vers l’Hexagone.
2. Le risque de l’inégalité généralisée
Le système de santé américain repose sur l’assurance privée et le marché, laissant des millions de personnes sous-assurées ou contraintes de renoncer aux soins. En Outre-mer, l’américanisation se traduit par deux risques majeurs :
- L’aggravation du renoncement aux soins : Alors que les territoires ultramarins affichent des taux de précarité plus élevés (avec une forte proportion de bénéficiaires de la CMU-C), la privatisation rampante de certains actes et la hausse des dépassements d’honoraires pour la médecine de ville spécialisée rendent l’accès aux soins de plus en plus difficile pour les plus modestes.
- La fuite des compétences vers le privé : La saturation et le sous-financement de l’hôpital public poussent les professionnels de santé vers le secteur privé, creusant le fossé entre une offre de soins privée, souvent de meilleure qualité et plus accessible financièrement pour une minorité, et un service public exsangue, dédié aux plus démunis, mais en capacité limitée. Cette ségrégation des patients est aux antipodes du principe de solidarité nationale.
3. Les spécificités ultramarines sacrifiées
Le modèle de santé ultra-marin devrait être conçu pour répondre à ses particularités : insularité, risques environnementaux spécifiques, maladies chroniques à forte prévalence et proximité avec des pays de la Caraïbe et de l’Amérique du Sud.
Or, la logique de rentabilité et de standardisation dictée par Paris ignore ces réalités. Au lieu de renforcer la médecine de proximité, la prévention et la recherche locale, on concentre les moyens sur des plateaux techniques lourds et coûteux (souvent pour des raisons politiques), qui ne suffisent pas à combler les déserts médicaux de l’intérieur et des îles périphériques.
Un appel à la résistance républicaine
Nous devons stopper cette dérive. L’Outre-mer, terre d’inégalités structurelles, a plus que jamais besoin d’un service public de santé fort, solidaire et adapté.
Nous demandons :
- L’arrêt immédiat de la logique purement comptable (T2A) pour l’hôpital public ultramarin au profit d’une dotation globale ajustée prenant en compte les surcoûts liés à l’insularité, aux pathologies spécifiques et à l’isolement.
- Un Plan d’Urgence pour l’Emploi Médical, avec des incitations massives à l’installation des généralistes et des spécialistes dans les zones sous-dotées, et un investissement dans la formation locale.
- Le refus catégorique de toute privatisation des services essentiels de l’hôpital, et un réinvestissement massif pour garantir la qualité, l’équité et l’accessibilité des soins pour chaque citoyen ultramarin.
La santé n’est pas une marchandise. C’est un droit, et en Outre-mer, elle est le baromètre de la solidité de notre République. Il est temps de sauver l’hôpital public pour sauver l’égalité.
Kamal VALCIN & Alizée BALTUS – Citoyens engagés.
Soyons UTILES pour notre pays